PubGazetteHaiti202005

Pénitencier national, l'antichambre de la mort

Photo crédit: Carvens Adelson/AyiboPost

Le pénitencier national arbore actuellement l’image d’un véritable mouroir. Famine, tuberculose, Sida, choléra, manque de soin et déshydratation, gratelles, les détenus vivent l’enfer entre quatre murailles. Il y a trois jours, au moins 25 détenus ont perdu la vie, selon nos constats.

 

A l’entrée, téléphones, clés, tout objet s’apparentant à du métal est confisqué. L’accueil se fait par l’odeur nauséabonde des excréments des prisonniers, mariée avec celle des cadavres. A force de continuer dans la cour, l’odeur devient beaucoup plus suffocante. 

 

Le pénitencier national de Port-au-Prince a toujours été l’un des pires endroits du pays. Une immense bâtisse, blanche, bleue, sale, d’une vétusté encore accentuée par les traces du séisme de 2010. Une surpopulation carcérale intenable. Plus de 10 000 détenus pour 700 places.

 

Arrivé sur la cour, l’image est beaucoup plus terrible que l’odeur. Sur la chaussée, un contingent de prisonniers malades, nus sont longés. Cage thoracique visible, mal nourri, maigre, un détenu défèque à même le sol. Ses compagnons lui versent de l’eau pour retarder sa mort.

 

A côté de la cour, un dispensaire s’y trouve. Un simple toit de tôle, une trentaine de lits de fortune individuels. Pas de murs. Depuis quelques semaines, on y parque les cas les plus sévères. Les détenus soignés tiennent tous en l’air, un bras contenant du sérum.

 

Sida, tuberculose, malnutrition, choléra…

 

Début octobre, le gouvernement haïtien a confirmé une recrudescence du choléra en Haïti alors qu’il était en attente d’un certificat d'élimination de l’épidémie en Haïti. La maladie n’a pas pris de temps pour se répandre au pénitencier national.

 

« Au moins 10 cas ont été rapportés officiellement », nous informe une source à l’intérieur du pénitencier national. Toutefois, nos constats à l’intérieur même de la prison montrent au moins 25 sacs mortuaires contenant les corps inertes de prisonniers décédés de toutes sortes de maladies. « Ils sont là depuis trois jours », indique la source. Des cas de tuberculose, de malnutrition ont été rapportés.

 

A quelques encablures du dispensaire se trouvent les différentes cellules des prisonniers. La question d’espace et de cubage d’air ne se pose pas. Les détenus coexistent dans des cellules surpeuplées et mal éclairées, sans ventilation adéquate. Ils sont dépourvus de tout, d’eau potable , d’installations sanitaires, de nourriture etc … Des prisonniers défèquent dans des sceaux qui ne sont pas régulièrement vidés. Certains font leurs besoins à même le sol sans se gêner du regard inquisiteur des visiteurs. D’autres, cloitrés dans leurs cellules, le font dans des emballages en polystyrène pour les jeter par les fenêtres.

 

Les mauvaises conditions s’aggravent de jour en jour avec des ruptures fréquentes dans l’alimentation de la population carcérale. Le pénitencier national manque de tout. L’eau se fait rare. « Ici, l’inhumanité est une règle », lance un détenu du haut de sa cellule.

 

Selon Pierre Espérance, Directeur Exécutif du Réseau National de Défense des Droits Humains, le blocage du Terminal Varreux par l’organisation criminelle G9 an fanmi e alye, l’insécurité généralisée et la situation de tension qui sévit dans tout le pays est à la base de cette situation alarmante.

 

Les fournisseurs de produits alimentaires sont dépassés par les évènements. Comme toutes les entreprises du pays plus précisément de la région métropolitaine de Port-au-Prince, ils sont frappés de plein fouet par la pénurie du carburant. « Aussi, l’Etat accuse souvent des retards dans le paiement des fournisseurs », précise le responsable du RNDDH.

 

Des détenus ont même atteint le Sida

L’homosexualité demeure une pratique largement répandue au pénitencier national. L’acte sexuel se produit derrière les barreaux, et ceci, sans préservatif. Ce qui demeure un facteur de propagation des maladies sexuellement transmissibles. 

 

En 2020, les statistiques ont révélé une augmentation du taux de personnes infectées par les maladies sexuellement transmissibles dans les prisons en Haïti où la prévalence du VIH tourne autour des 6 %. Un article du média Ayibopost révèle que, « ces séances d’étreintes viriles se réalisent généralement en pleine soirée après le visionnage de films pornographiques. »

 

Dans la prison civile de Jacmel, la situation est tout aussi catastrophique. De janvier à septembre de l’année en cours, 17 détenus sont déjà morts. D’autres cas décès ont été aussi rapportés à la prison civile de Petit-Goâve, de Jérémie et de Fort-Liberté. 

 

Dans un communiqué en date du 28 septembre, l’Office de la Protection du Citoyen (OPC) s’est insurgé contre les conditions de détention dans les prisons civiles haïtiennes causant la mort d’au moins douze détenus. L’OPC qui a tiré la sonnette d’alarme en prévenant que si des dispositions ne sont pas adoptées dans les plus brefs délais, la situation risquera de se transformer en catastrophe humanitaire, invite les parents des prisonniers décédés « à ouvrir la voie à des recours contre l’État par devant les Instances régionales et internationales relatives aux droits de l’Homme dans une perspective de réparations pour violations graves de droits humains ».

 

Selon le directeur exécutif du Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH), Pierre Espérance, plus de 80 détenus sont déjà morts dans les prisons civiles en Haïti de Janvier à septembre 2022 au niveau des 18 juridictions. Un chiffre qui risque d’alourdir en raison des conditions hygiéniques déplorables, s’alarme le responsable.

 

Des mesures de décongestionnement

 

Devant la presse samedi 9 octobre, le commissaire du gouvernement près du tribunal de première instance de Port-au-Prince Jacques Lafontant a promis de tout faire pour aboutir au décongestionnement de la prison. Des audiences criminelles, correctionnelles et en habeas corpus seront bientôt tenues, selon l’homme de loi. « Nous allons étudier les dossiers des prisonniers à la loupe pour voir ceux qui peuvent être évacués en vertu d’une procédure tracée par la loi », promet Lafontant.

 

Selon notre source, les cellules dans lesquelles les contaminés et décédés du choléra se trouvaient seront décontaminées. Des matériels de purification d’eau auraient été fournis à l’administration pénitentiaire par des officiels du MSPP, selon cette même source.

 

 

 

Par: Daniel Zéphyr

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